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LES ROCHES DOUVRES AVEC VICTOR HUGO

LES ROCHES DOUVRES AVEC VICTOR HUGO

Plutôt que d’errer sur la mer entre les Sept Îles, le Grand Léjon et les Roches Douvres à la recherche très aléatoire de thons rouges, Alain Scriban, Yves Deugnier et moi avons mis au point une technique de prospection beaucoup plus satisfaisante. Notre programme consiste à nous rendre en un lieu lointain au large (Barnouic ou Les Roches Douvres) pour y pêcher le lieu voire le bar et, tout en y allant et revenant, de veiller attentivement pour tenter d’apercevoir des chasses de thon.

Ainsi, nous avons cet été 2022 visité par deux fois les Roches Douvres.

Ce lieu qui enchantait nos rêves est devenu pour nous un merveilleux souvenir qui va réchauffer notre hiver annoncé grelottant.

Et pourtant, si nous avions eu quelque culture résiduelle, nous aurions sans nul doute préféré nous prélasser à la grève Douce plutôt que d’affronter ce lieu si magistralement et effroyablement décrit ci-après par Victor Hugo……

« LES ROCHERS DOUVRES » par Victor Hugo

« À cinq lieues environ en pleine mer, au sud de Guernesey, vis-à-vis la pointe de Plainmont, entre les îles de la Manche et Saint-Malo, il y a un groupe d’écueils appelé les Rochers-Douvres. Ce lieu est funeste.

Dans ces mers de la civilisation les roches les plus sauvages sont rarement désertes. On rencontre des contrebandiers à Hagot, des douaniers à Binic, des celtes à Bréhat, des cultivateurs d’huîtres à Cancale, des chasseurs de lapins à Césambre, l’île de César, des ramasseurs de crabes à Brecq-Hou, des pêcheurs au chalut aux Minquiers, des pêcheurs à la trouble à Écré-Hou. Aux rochers Douvres, personne.

Les oiseaux de mer sont là chez eux.

Sur toute cette périlleuse mer de la Manche, qui est la mer Égée de l’occident, le rocher Douvres n’a d’égal en terreur que l’écueil Pater-Noster entre Guernesey et Serk.

La rafale, l’eau, la nuée, l’illimité, l’inhabité. Nul ne passe aux rochers Douvres qu’égaré. Les granits sont d’une stature brutale et hideuse. Partout l’escarpement. L’inhospitalité sévère de l’abîme.

C’est la haute mer. L’eau y est très profonde. Un écueil absolument isolé comme le rocher Douvres attire et abrite les bêtes qui ont besoin de l’éloignement des hommes. C’est une sorte de vaste madrépore sous-marin. C’est un labyrinthe noyé. Il y a là, à une profondeur où les plongeurs atteignent difficilement, des antres, des caves, des repaires, des entre-croisements de rues ténébreuses. Les espèces monstrueuses y pullulent. On s’entre-dévore. Les crabes mangent les poissons et sont eux-mêmes mangés. Des formes épouvantables, faites pour n’être pas vues par l’œil humain, errent dans cette obscurité, vivantes. De vagues linéaments de gueules, d’antennes, de tentacules, de nageoires, d’ailerons, de mâchoires ouvertes, d’écailles, de griffes, de pinces, y flottent, y tremblent, y grossissent, s’y décomposent et s’y effacent dans la transparence sinistre. D’effroyables essaims nageant rôdent, faisant ce qu’ils ont à faire. C’est une ruche d’hydres.

L’horrible est là »

Cher APPIBIEN, voyez notre courage de nous égarer pour notre passion dans des lieux aussi funestes ! Comme moi vous avez remarqué dans ce texte l’évocation de tentacules de forme épouvantable ; laissons Victor nous présenter la pieuvre à laquelle mes bon amis et moi aurions pu être confrontés en ce lieu distant de 17 miles du Paon.

« Dieu a fait la pieuvre. Quand Dieu veut, il excelle dans l’exécrable.
Le pourquoi de cette volonté est l’effroi du penseur religieux.
Tous les idéals étant admis, si l’épouvante est un but, la pieuvre est un chef-d’œuvre. »

Je vous laisse (re) découvrir la description complète des Roches Douvres et de ce céphalopode tentaculaire dans le magistral livre de notre ami VICTOR, « les Travailleurs de la mer », écrit pendant son exil à Guernesey. Je suis amené à penser qu’il n’a pas vu lui-même les Roches Douvres mais que les descriptions qu’il en a eues dans des conversations de port un peu arrosées ont permis à sa plume grandiose de s’exprimer totalement.

Vincent Guillois

Association des pêcheurs plaisanciers et Bassiers de l’île de Bréhat. APPIB